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Politique - Reportage

« Ouf, il y a encore beaucoup de aounistes dans ce pays »

Au QG de Gebran Bassil à Batroun, les partisans n'en menaient pas large dimanche, dans l'attente des résultats du scrutin.

« Ouf, il y a encore beaucoup de aounistes dans ce pays »

Les partisans aounistes écoutent le discours de Gebran Bassil au QG de Batroun le 15 mai. Photo Caroline HAYEK

Les rues pavées de Batroun d’ordinaire si animées sont quasiment vides. Seuls des tuk-tuks qui affichent les photos du «fils du pays», l’ancien ministre Gebran Bassil, embarquent des partisans aounistes. Un portrait géant du gendre du président a été installé à l’entrée de la ville. «C’est le Naboléon de Batroun», ricane Elie, la soixantaine.

En ce dimanche électoral, les «oranges» portent haut les couleurs de leur appartenance. Khoulia, elle, a fait la totale. Chapeau à paillettes, ambiance cotillon de fêtes de fin d’année, boucles d’oreilles en plastique, et pull à résilles. Cette ancienne soldate de l’armée voue un culte au général (Aoun). Alors, lorsque le gendre du président de la République descend les marches du quartier général du CPL, la maison des jeunes, à Batroun vers 19h, Khoulia tombe en pâmoison. «Je l’aime. Lui, au moins, n’a pas de sang sur les mains», dit-elle. Le chef du CPL, en polo orange, fend la foule et s’engouffre dans un 4x4 noir, au son des «hela hela ho, Gebran Bassil, menhebo (on l’aime)», détournant l’un des classiques du répertoire fleuri de la contestation. «Une mère, c’est sacré», lance Paulette* pointant du doigt le petit portrait du duo mère-fils bras dessus bras dessous, accroché à l’entrée du QG.

Un tableau portrait de Gebran Bassil posé par terre, au QG de Batroun. Photo Caroline HAYEK

Pour le gendre du président, c’est officiellement l’heure de la revanche. Le moment de prouver que ni la contestation de la rue ni les efforts de ses adversaires dans la circonscription pour le déloger de son siège, n’allaient triompher de son ambition. Malgré les sanctions américaines qui le frappent depuis novembre 2020, les huées de la rue, l’isolement de son parti, Gebran Bassil n’a jamais renoncé à ses rêves présidentiels. Ce dimanche 15 mai, quatre ans après son triomphe qui lui avait permis d’être à la tête du plus grand bloc parlementaire, le chef du CPL sait qu’il traverse la phase la plus difficile de sa carrière politique. Mais il s’agit de tenir bon, de limiter la casse et d’attendre des jours meilleurs.

Au QG ce soir-là, on n’en mène pas large. Malgré l’ambiance bon enfant, les partisans ne sont pas sereins. Les sondages assurent depuis des semaines que le CPL est en chute libre. Leurs principaux ennemis, les Forces libanaises de Samir Geagea, ont le vent en poupe. Le scénario du pire, à leurs yeux, est en train de se dessiner : pour la première fois depuis 2005, les aounistes ont de grandes chances de ne pas être le parti le plus fort sur la scène chrétienne. Dans celle-ci, l’alliance avec le Hezbollah ne passe plus. Alors forcément, quand les télévisions entrent dans les locaux de Batroun, les jeunes portant des drapeaux jaunes restent en retrait.

« C’est tôt pour les tours de klaxons? »

Devant un énorme écran branché sur la chaîne OTV (proche du parti), des enfants revêtus de T-shirts et casquettes assortis sont affalés sur des poufs. D’un quart d’heure à l’autre, on passe de l’euphorie à l’angoisse. «Pfff, t’as vu ça, Majd Harb (appuyé par les Kataëb) devance le ministre. Il a dû dépenser un max de fric», lance Loulia*, 22 ans, à sa copine. D’une pièce à une autre, on assiste à un spectacle des plus cacophoniques. Des enfants chahutent, des ados font des selfies avec des drapeaux, des femmes lancent des « Taratatata, Général ». D’autres rongent leur frein, et des cadres du parti feignent que tout va bien. « Allooo, alors, dis-moi mabrouk! On vous devance à Douma », lâche Colette* à une connaissance de ce village, visiblement d’un autre bord politique. « C’est tôt pour les tours de klaxons? », demande une batrouniote prête à sauter dans sa voiture. Rachel Karam, une journaliste de la chaîne al-Jadeed, se faufile dans la marée orange suivie par son caméraman. « Racheeeeel, on t’aime, mais on t'aimerait plus à la OTV », l'interpelle Hiba*, de sa voix de fumeuse.

Il est 22h et l’ambiance est tendue. Gebran Bassil est en troisième position derrière Majd Harb, et Ghayath Yazbeck (FL). « Les chiffres, ça ne compte pas les gars, arrêtez de paniquer, allez faire la fête », hurle un colosse à l’entrée du bâtiment, sans véritablement convaincre l’assistance. « Tiens, prends 100 000 livres et va jouer au bout de la rue, faut qu’on mette le feu là », dit le partisan à un jeune muni d’un tambour. Khoulia se jette à ses côtés et se met à danser. Quelques minutes plus tard, une voiture d’observateurs européens passe, sans un regard, entre cette bande de joyeux drilles.

Un portrait géant de Gebran Bassil, à l'entrée de Batroun. Photo Marie-Jo SADER

Dans la salle, l’heure est grave. Des cadres courent distribuer les listes actualisées dans la salle voûtée où il est écrit « cellule de crise » sur la porte. Mireille ravale ses larmes devant l’écran de son portable. « La LBCI dit que c’est foutu pour nous». « Mais non, n’écoute pas ceux-là, c’est du pipeau. C’est dans la poche », lui assure un partisan. « La thawra, on l’en…», renchérit un membre de la sécurité, en mimant le geste plusieurs fois. Et puis, enfin, une percée. Simon Abi Ramia conserve son siège à Jbeil-Kesrouan. Des jeunes hurlent de joie, d’autres font le signe de la croix. « Ouf, il y a encore beaucoup d'aounistes dans ce pays », se rassure Thérèse*, la soixantaine. « Tu en plantes un, il en pousse dix », lâche Hiba, cigarette à la bouche.

Et enfin, le moment tant attendu. Silence de cathédrale. « Gebran Bassil, il va parler », prévient un homme. Il a la mine des mauvais jours. Les résultats sont encore partiels mais ils ne sont pas bons. Son siège semble lui être acquis. Mais au niveau national, son parti est en net recul.

Alors le leader du CPL sort sa carte préférée : il se pose en victime d’un « complot américano-sioniste » et accuse les FL d’être au service de ce plan.

Monsieur R., la soixantaine, porte un costume élégant. C’est un vieux de la vieille, mais à cet instant précis, il ne fanfaronne pas. Il reste, pensif, assis sur un côté du billard. « Son message n’était pas optimiste », lance-t-il dans un souffle. Son fils Ralph, 32 ans, ne lâche pas l'objectif du coin de l'œil. « Je suis aouniste depuis ma naissance et je le resterai. Nos ennemis intérieurs comme extérieurs auront tout fait pour enterrer Gebran Bassil à Batroun », dit-il.

Minuit trente. Alors que les résultats définitifs ne sont toujours pas tombés, le colosse enjoint de nouveau la foule à faire la fête. « Rejoignez toutes les places de Batroun, Bassil est député». « Marchons sur Meerab (fief de Samir Geagea) », hurle une femme aux ongles longs et oranges. Antoine*, marche, hagard, un drapeau libanais à la main et salue son ami. « Akalna darbe…». ("On est foutus")

*Les prénoms ont été changés

Les rues pavées de Batroun d’ordinaire si animées sont quasiment vides. Seuls des tuk-tuks qui affichent les photos du «fils du pays», l’ancien ministre Gebran Bassil, embarquent des partisans aounistes. Un portrait géant du gendre du président a été installé à l’entrée de la ville. «C’est le Naboléon de Batroun», ricane Elie, la soixantaine.En ce dimanche...

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