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Politique - Portrait

Najat Aoun Saliba, une scientifique à la volonté de fer au Parlement

Sa principale ambition en matière de changement ? « Introduire dans la vie politique une nouvelle façon de penser, plus stratégique. »

Najat Aoun Saliba, une scientifique à la volonté de fer au Parlement

Najat Aoun Saliba au siège de Taqaddom à Gemmayzé. Photo S.B.

Avec ses lunettes rondes, son sourire franc et sa coupe courte, Najat Aoun Saliba a l’un des minois les plus reconnaissables des nouveaux députés « du changement » élus le 15 mai. Une rapide recherche sur internet suffit pour révéler un parcours hors normes d’une scientifique plusieurs fois primée (prix L’Oréal-Unesco en 2019, plusieurs nominations pour figurer parmi les femmes les plus influentes de la région…). Au Liban, elle s’est surtout fait connaître pour ses études à l’AUB – où elle enseignait puis a fondé l’Académie de l’environnement – sur la pollution de l’air notamment, qui ont maintes fois révélé des taux effrayants de polluants, que ce soit durant la crise des déchets en 2015-2016, ou encore durant l’actuelle crise de l’énergie qui oblige les Libanais à compter presque exclusivement sur des générateurs de quartier aux émanations toxiques.

En clair, c’est un profil très différent qui intègre le Parlement, peut-être la première députée à avoir un background scientifique et écologique aussi fourni. Elle-même en parle volontiers et avec passion. « La chimie atmosphérique, ma spécialité si complexe, allie chimie, physique et biologie », raconte-t-elle dans la pénombre d’une salle du siège du parti Taqaddom, celui qui l’a propulsée à la députation, à Gemmayzé.

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Le cheminement de Najat Aoun Saliba est assez particulier, puisque c’est la science qui l’a menée au militantisme environnemental et pas le contraire. « À l’origine, je voulais prouver que même en tant que fille, je pouvais être douée pour les mathématiques (contrairement aux idées reçues de l’époque), raconte-t-elle. Mon premier contact avec les problématiques environnementales a été lors de la rédaction de mon master, puis après mon doctorat, quand je me suis spécialisée en chimie atmosphérique environnementale et que j’ai pu appliquer tout ce que j’avais appris. » L’activisme a suivi naturellement, puisqu’il « n’était pas possible de constater les effets dévastateurs de la pollution sur l’environnement sans vouloir entrer dans l’action ». De 2001 à 2017, Najat Aoun Saliba se penche non seulement sur la pollution atmosphérique, mais sur la pollution résultant du tabagisme. « Quand nous avons constaté que les recherches et la sensibilisation n’aboutissaient pas à des recommandations fortes, nous avons créé l’Académie de l’environnement à l’AUB », dit-elle.

Expertise et humilité

Pour passer de l’activisme à la politique, il a fallu un autre déclic, et pas des moindres : « L’explosion de Beyrouth. » Les mots lui échappent presque, avec une émotion évidente. « J’ai soudain senti combien la corruption et la négligence pouvaient être mortelles. On ne pouvait plus se taire. J’ai décidé de laisser derrière moi tout ce que j’avais construit à l’AUB, pour me lancer en politique et mettre à profit ce que j’avais appris durant ces années, parce qu’il fallait briser ce cycle de corruption. »

Au Parlement, la scientifique compte adopter « une approche méthodique ». « Dans le monde entier, on privilégie les stratégies en vue de la recherche de solutions. On ne peut pas continuer à opter pour des solutions adaptées aux intérêts des partis politiques. C’est le cercle que je veux briser. Et peut-être que je ne serai pas moi-même l’auteure des stratégies les plus réussies, mais je connais la procédure qui permet de les améliorer. Je veux introduire une nouvelle façon de penser. »

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Son collègue Alain Daou, directeur du Nature Conservation Center (NCC) de l’AUB, et qui prendra sa place à la tête de l’Académie de l’environnement, est convaincu qu’elle a les qualités pour initier un tel changement dans la vie politique libanaise. « Je suis rentré au Liban il y a six ans, j’ai fait sa connaissance alors qu’elle était directrice du NCC, elle m’a accueilli avec beaucoup de chaleur et de bienveillance, faisant tout pour m’intégrer dans l’équipe. Elle a été pour moi un mentor et un modèle. »

Pour Alain Daou, Najat Aoun Saliba n’est pas seulement une experte au charisme indéniable, elle sait aussi s’entourer des bonnes personnes, celles qui ont d’autres expertises qu’elle, les écoutant avec humilité. « Je suis certain qu’elle va répliquer ce schéma dans la vie politique, et ce sera un point fort. Elle est proche des gens, et tous ses projets son bâtis suivant une approche citoyenne. » Et qu’est-ce qui pourrait lui jouer un mauvais tour ? « Son côté tranchant, elle est claire et transparente, pas de zones grises chez elle. Je suis sûr qu’elle ne fera pas de compromis, ce qui n’est pas d’usage dans la vie politique libanaise. »

Un écologiste de longue date, Paul Abi Rached, espère pour sa part qu’elle saura être à l’écoute dans les différents dossiers explosifs au Liban. « Plusieurs internautes l’ont récemment taguée dans l’affaire du barrage de Mseilha (à Batroun, qui fait polémique selon les écologistes, entre autres parce qu’il a conduit à l’asséchement d’un cours d’eau à proximité, NDLR), et ils attendent encore sa réponse. » Tout en saluant l’arrivée d’une députée avec un tel profil au Parlement, M. Abi Rached rappelle que « le background scientifique ne suffit pas, il faut savoir tenir tête aux politiques chevronnés ».

Des décisions inattendues

La route de Najat Aoun Saliba vers les hautes études, la recherche, les prix internationaux et maintenant la députation n’a pas été un long fleuve tranquille. Elle-même reconnaît que la voie était semée d’embûches. Celle qui a été enseignante dès ses 17 ans pour aider ses parents, déplacés de Damour durant la guerre, a plusieurs fois fait des choix difficiles pour continuer à évoluer. En 1990, elle quitte le Liban pour les États-Unis dans des conditions compliquées, se marie six ans plus tard et reprend ses études. En 2001, elle prend là aussi une décision inattendue : elle abandonne tout pour rentrer au bercail et créer un laboratoire de recherche à l’AUB, à une époque où les moyens manquaient clairement, « pour tenter de rendre service au pays ». « Je n’ai jamais rencontré quelqu’un d’aussi déterminé », dit d’elle Alain Daou.

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À la ville, son mari, Issam Saliba, est un point d’ancrage et un soutien sans faille. Poussé par la crise économique à s’exiler une nouvelle fois aux États-Unis, il a néanmoins tenu à faire le voyage pour vivre avec elle la semaine électorale.

Aux femmes, Najat Aoun Saliba promet de faire preuve de la même détermination pour leurs droits que pour la protection de l’environnement. D’ailleurs pour elle, les deux sont liés. « La Terre est une femme », dit-elle en riant. Forte de son expérience, elle enjoint à ses congénères de « rêver grand, autant que votre imagination le permet ».

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